Au départ, je voulais écrire un article assez classique sur une exposition d'une artiste que j'aime beaucoup et que je collectionne : Clara Bryon. (Elle fait des tableaux à l'huile, sur bois le plus souvent.) Mais finalement, non, j'ai juste envie de parler des sensations. Des questions formelles et techniques que cela a immédiatement soulevées en moi tout en me plongeant dans un ensemble d'émotions contradictoires. La première étant : mais pourquoi j'aime ça ?
Ses tableaux captent immédiatement le regard, comme un reflet lumineux sur une surface, dans une pièce, et c'est exactement leur sujet. Il est fascinant de ressentir, au sens rétinien, physiquement donc, ce qui est littéralement le sujet du tableau. Je doute qu'il y ait meilleure catharsis possible à travers une œuvre.
Clara BRYON
Petit pan de mur jaune avec un auvent, petit pan de mur jaune
Galerie Samira Cambie, Montpellier
6 – 30 septembre 2024
Actuellement à la galerie
Stéphane Pencréac'h
Il y a peu de tableaux qui produisent aussi exactement ce que j'appellerais « le sentiment d'une perception », une illusion bien sûr. Et l'on se rappelle que l'illusion est la peinture. L'artiste nous force à considérer l'illusion à nouveau comme un sujet. La dernière fois que j'ai ressenti aussi distinctement cela, c'était devant un Gerhard Richter.
Avant d'entrer dans des considérations plus analytiques, arrêtons-nous sur la technique. Elle est proche de l'hyperréalisme photographique mais sans en utiliser aucun des procédés classiques. J'ai mis beaucoup de temps à comprendre comment Clara Bryon obtenait cette pellicule rétinienne, cette surface si douce, lisse et floue, mais pas trop, lumineuse et glissante, mais fuyante. C'est une surface sur laquelle notre œil doit faire le point, qui s'échappe, revient, cligne d'aveuglement puis se laisse baigner par la lumière, au bout du tunnel ou de l'abîme.
Des couches de préparation, de l'huile, des glacis, un monument de travail minéral. Pigments « médium-isés » sur pigments « médium-isés » qui bâtissent peu à peu des marches, des parois, des dalles, des murs, des angles, des pièces, une œuvre. Clara Bryon est diplômée en architecture. Sa manière de peindre est unique dans une époque de grande uniformité de style et surtout de technique. Si je devais trouver un équivalent, ce serait du côté de Seurat dessinateur. Je suis conscient de la contradiction, mais regardez, vous verrez.
Ces marches, ces parois, ces dalles, ces murs, ces angles, ces coins de pièces, oui, certes, ils apparaissent et nous procurent ce plaisir visuel, mais il y a autre chose qui se joue. Et bien que l'on s'aventure dans une direction plus subjective, je pense que beaucoup ressentent cela devant ses œuvres : l'impression de revoir un souvenir fugace, un instant précis vécu dans le temps, passé lointain ou futur. Comme quelque chose d'enfoui qui resurgit l'espace (sic) d'un instant. La lumière comme transport temporel, pléonasme bien sûr.
Peut-être un souvenir d'enfance, nous sommes près du sol. Peut-être un moment où la beauté du monde nous a frappés pour la première fois. Ou bien, allongé sur un sol dur, quelque chose de plus terrible se passe et l'on s'accroche à ce rayon...
Il y a des titres, à la fois descriptifs et poétiques ("Pierres roses et marche usée, architecte inconnu quelque part en Italie") qui prolongent l'œuvre en quelque sorte plutôt que de la nommer. La notion de figuration ou d'abstraction ne m'intéresse pas, et comme disait Frank Stella : "L'abstraction peut tout se permettre, y compris le luxe de la figuration". Les tableaux de Clara Bryon semblent être sur cette ligne de crête, mais là n'est absolument pas, à mon sens, leur force.
En revanche, l'absence de l'humain (bien que l'environnement soit la plupart du temps façonné par lui) et la puissance chromatique les font entrer en résonance avec les virtuosités chromatiques de Rothko, Ryman ou Reinhardt. Et c'est peut-être ainsi, comme chez ces derniers, du côté spirituel qu'il faut définir l'impression qui nous reste lorsque nous quittons son exposition.
Clara BRYON Là, huile sur bois. 2024
Court. galerie S. Cambie
Clara BRYON Là n°15, huile/bois. 2024
Court. galerie S. Cambie
Clara BRYON
Small patch of yellow wall with an awning, small patch of yellow wall
Galerie Samira Cambie, Montpellier
6 – 30 septembre 2024
Stéphane Pencréac'h
At first, I wanted to write a fairly classic article about an exhibition by an artist I really like and collect: Clara Bryon. (Clara Bryon makes oil paintings, mostly on wood.) But in the end, no, I just want to talk about sensations. About the formal and technical questions that immediately arose within me, while plunging me into a mix of contradictory emotions. The first being: why do I like this?
Her paintings immediately capture the eye, like a luminous reflection on a surface in a room, and that's exactly what they’re about. It’s fascinating to physically experience, in a retinal sense, what is literally the subject of the painting. I doubt there's a better possible catharsis through an artwork.
There are few paintings that produce as precisely what I would call "the feeling of a perception," an illusion of course. And we remember that illusion is painting. The artist forces us to reconsider illusion as a subject. The last time I felt this so distinctly was in front of a Gerhard Richter.
Before diving into more analytical considerations, let’s pause on the technique. It is close to photographic hyperrealism but without using any of its classic tricks. It took me a long time to understand how Clara Bryon achieves this retinal film, this surface, so soft, smooth, and blurred—but not too much—bright and slick, yet elusive. It’s a surface on which our eye has to focus, escapes, returns, blinks in blindness, and then lets itself be bathed by the light, at the end of the tunnel or the abyss.
Layers of preparation, oil, glazes, a monument of mineral work. Pigments with medium on top of pigments with medium gradually building steps, walls, slabs, angles, rooms—a work of art. Clara Bryon is trained in architecture. Her way of painting is unique in an era of great uniformity of style, especially in technique. If I had to find an equivalent, it would be in the direction of Seurat the draftsman. I am aware of the contradiction, but look and you'll see.
Those steps, those walls, those slabs, those corners, those angles, those corners of rooms—yes, they appear and give us this visual pleasure, but there’s something else going on. And although we are venturing into a more subjective direction, I think many people feel this in front of her works: the impression of revisiting a fleeting memory, a precise moment lived in time, whether distant past or future. Like something buried that resurfaces for an instant. Light as a temporal transport—an obvious pleonasm.
Perhaps a childhood memory, where we are close to the ground. Perhaps a moment when the beauty of the world struck us for the first time. Or perhaps lying on a hard floor, something more terrible is happening, and we cling to this ray of light...
The titles are both descriptive and poetic ("Pink stones and worn step, unknown architect somewhere in Italy"), extending the work rather than naming it. The notion of figuration or abstraction doesn’t interest me, and as Frank Stella said: "Abstraction can afford anything, even the luxury of figuration." Clara Bryon’s paintings seem to walk that fine line, but that’s not their strength in my opinion.
Instead, the absence of the human figure (though the environment is mostly shaped by humanity) and the chromatic power bring them into resonance with the chromatic virtuosity of Rothko, Ryman, or Reinhardt. And maybe, like these artists, it's on the spiritual side that we must define the impression that remains with us when we leave her exhibition.