Il est encore des galeries singulières, détachées du bon goût de l’époque et encore prêtes à s’engager dans l’exploration des « expressions les plus primitives et les plus intimes d’artistes aux univers et aux horizons différents mais qui tous, sur les terrains fertiles de leurs imaginaires débridés, manifestent avec énergie, humour, violence, inconvenance, jubilation, leur sensibilité aux réalités protéiformes du monde contemporain. »
C’est le manifeste d’Arsenic Galerie (1), manifeste incarné avec force au cœur de l’été par l’exposition de Yoshifumi Hayashi, l'alchimie du cerveau à la mine de plomb.
Yoshifumi Hayashi c’est plus d’un demi-siècle de dessin radical, de fantasmes brûlants déployés sans réserve.
Il y a ces femmes callipyges et dépersonnalisées uniquement dévolues à la projection du désir. Attachées, soumises à tous les dévoilements, remplies par tous les orifices. Les visages sont rarement représentés et quand ils apparaissent n’expriment que passives postures.
Le réalisme importe peu. Si la projection l’exige, l’objet du désir peut être déformé, empilé, couvert de sécrétions indéfinies. On peut aussi inviter sur le dessin des appendices monstrueux et tentaculaire.
Ces configurations monstrueuses convoquent les références. Le shokushu, érotisme des tentacules, qui comme l’écrit Agnès Giard dans son imaginaire érotique au Japon (2) « donne naissance à des monstres toujours plus ahurissants qui se ramifient en une véritable anarchie de l’imaginaire ». Shokushu, toujours selon Agnès Giard, né d’une estampe de Katsushika Hokusai réalisée autour de 1820 le Rêve de la Femme du Pécheur , qui trouve une résonnance avec plusieurs dessins de Yoshifumi Hayashi.
Yoshifumi HAYASHI
Arsenic Galerie
Paris 6 juin - 13 juillet 2024
Stéphane Ruiz
Yoshifumi HAYASHI
Yoshifumi HAYASHI Un fantôme sur l'autoroute 2022, 41 X 33 cm
Le surréalisme entre aussi en force. On pense aux poupées de Hans Bellmer (3) , fétiches articulés ouverts à des manipulations infinies ou les photos de Pierre Molinier (4) où jambes et fessiers sont démultipliés.
Cette production de chair et de fantasmes est scandaleuse. Mais Yoshifumi Hayashi ne fait aucun cas de la vertu. Toutes les images sont bonnes à prendre pour apaiser sa faim, nourrir ses désirs.
Seule compte la libération de l’énergie sexuelle, dans des scènes vibrantes de l’attention infinie portée à la technique de la mine de plomb.
Cet élan sexuel, qui dévore tout, peut aller jusqu’à l’abstraction. Yoshifumi Hayashi abandonne alors ses femmes objets pour des paysages monstrueux, des concrétions organiques complexes, des fleurs cathédrales incandescentes.
Moins immédiats, ces dessins fantastiques concentrent une matière polymorphe qui sature la feuille : crochets à viande, dents qui affleurent, encéphales, ilots calcaires, yeux mauvais perçant dans la masse…
Si la femme s’est effacée, le flux qui parcourt ces images reste le même. La mise à nu d’un imaginaire cru et brûlant, l’œuvre d’une machine à projeter sur le papier les images d’un cerveau bouillonnant et jamais rassasié.
(1) https://arsenicgalerie.com/
(2) Agnès Giard, l’Imaginaire Érotique au Japon, Éd. Albin Michel
Yoshifumi HAYASHI
Arsenic Galerie
Paris 6 juin - 13 juillet 2024
Stéphane Ruiz
There are still singular galleries, detached from the trends of modern taste, and willing to engage in the exploration of "the most primitive and intimate expressions of artists from different universes and horizons, who, on the fertile grounds of their unbridled imaginations, express with energy, humor, violence, indecency, jubilation, their sensitivity to the protean realities of the contemporary world."
This is the manifesto of Arsenic Galerie, embodied with strength at the heart of summer by the exhibition of Yoshifumi Hayashi, the alchemy of the mind in graphite.
Yoshifumi Hayashi has been creating radical drawings for more than half a century, unleashing burning fantasies without restraint.
There are these depersonalized, callipygian women solely devoted to the projection of desire. Bound, subjected to all forms of exposure, filled through every orifice. Faces are rarely represented, and when they do appear, they only express passive postures.
Realism is of little importance. If projection demands it, the object of desire may be distorted, stacked, or covered in undefined secretions. Monstrous and tentacled appendages can also be invited onto the drawings.
These monstrous configurations evoke references. Shokushu, the erotica of tentacles, as Agnès Giard writes in her Erotic Imagination in Japan, "gives birth to ever more astonishing monsters, branching into a true anarchy of the imagination." Shokushu, according to Giard, was born from a woodblock print by Katsushika Hokusai around 1820, The Dream of the Fisherman's Wife, which resonates with many of Yoshifumi Hayashi's drawings.
Surrealism also comes into play. One thinks of Hans Bellmer's dolls, articulated fetishes open to infinite manipulations, or Pierre Molinier's photos where legs and buttocks are multiplied.
This production of flesh and fantasy is scandalous. But Yoshifumi Hayashi cares nothing for virtue. All images are fair game to appease his hunger and feed his desires.
Only the liberation of sexual energy matters, in scenes vibrating with infinite attention to the technique of graphite.
This sexual drive, devouring everything, can lead to abstraction. Yoshifumi Hayashi then abandons his objectified women for monstrous landscapes, complex organic concretions, and incandescent cathedral-like flowers.
Less immediate, these fantastic drawings concentrate polymorphous matter that saturates the page: meat hooks, teeth emerging, encephala, limestone islets, malevolent eyes piercing through the mass...
If the woman has disappeared, the flow coursing through these images remains the same. It is the unveiling of a raw and burning imagination, the work of a machine projecting onto paper the images of a boiling and never-satiated mind.
(1) https://arsenicgalerie.com/
(2) Agnès Giard, l’Imaginaire Érotique au Japon, Éd. Albin Michel