La galerie Perrotin confronte dans son espace de New York les œuvres de deux monstres : le Français Alain Jacquet (1939-2008) et l’Américain James Rosenquist (1933-2017).

Non seulement tous deux furent des artistes importants du pop art, l’un plutôt en France, le second aux États-Unis, mais ils ont aussi pareillement consacré des œuvres au cosmos.

Jacquet séjourne à New York à partir de 1964, mais il y a somme toute assez peu exposé. Il a mené la majeure partie de sa carrière en France. Je me méfie des superlatifs. Ils ont tendance à se montrer un peu définitifs. Mais dans le cas de Jacquet, je m’incline. Car il est selon moi un des plus grands artistes français du 20e siècle et son œuvre n’est pas encore reconnu à sa juste valeur.

Il est rare qu’un corpus obéisse de bout en bout à une même logique. Pour ce qui est de Jacquet, il y en a deux, il y a le point, et il y a le pop, ou le jeu. Le point apparait dans les œuvres sérigraphiques tramées du type du fameux Déjeuner sur l’herbe (1964), qui réinterprète le tableau éponyme de Manet. Le point y est regroupé en une trame plus ou moins serrée. Il constitue l’image, un peu comme les atomes la matière.

Il faut parfois prendre de la distance pour que les points, s’agglutinant, donnent naissance au motif, par exemple lorsque l’artiste, au début des années 1970, esquisse une gigantesque bille sur un mur de la Ville de Genève, bille qui se dévoile pleinement depuis l’autre rive du lac.

Né dans le Dakota du Nord, James Rosenquist s’illustre d’abord dans la publicité, qui l’influence durablement. Sa peinture se déploie sur de grands formats, elle accumule les fragments et s’apparente par certains côtés à des accumulations d’Arman, ou des reliefs de Jean-Pierre Raynaud.

Un artiste comme David Salle a sûrement beaucoup regardé les tableaux de Rosenquist. Le cosmos s’invite dans ses œuvres, il semblerait au début des années 1970, plutôt au départ sous la forme d’un fond étoilé, un firmament dans lequel flottent en quelque sorte les motifs. On éprouve ce sentiment d’infinitude dans son installation Horizon Home Sweet Home (1970), actuellement exposée à la galerie Ropac de Pantin, lorsque les fumigènes abolissent les distances. Les tableaux qu’il peint au début des années 2010, œuvres ultimes, sont comme des kaleidoscopes, des verres brisés ouverts sur l’infini. Ils fractallisent l’espace intersidéral, ils agrègent des mondes. Ce que Rosenquist avait somme toute fait jusqu’ici, mais à une échelle humaine.

Alain JACQUET / James ROSENQUIST

Fractal Coincidences
Galerie Perrotin, New York, 29 octobre - 21 décembre 2024

Clémentine Vermont

Je ne sais pour quelle raison Jacquet a commencé à regarder des images de la planète Terre, mais il lui est apparu qu’elle n’était après tout qu’un point, et que de la sérigraphie au cosmos, ce n’était finalement qu’une question d’échelle. À partir d’une photographie de la NASA, Jacquet commence à distinguer toutes sortes de motifs, comme Léonard de Vinci ou Botticelli dans les nuages ou les taches sur un mur. Marilyn Monroe, des dauphins, un clown, etc. L’imagination est sans bornes et l’œuvre dévoile pleinement ses accointances avec la psychanalyse. Ce qu’on imagine est bien évidemment une expression de nos fantasmes. Peu à peu, l’artiste décide de retourner l’objectif.

En effet, pourquoi se limiter à notre planète alors que l’univers est si grand ? Si bien que cet univers tout entier s’engouffre dans l’œuvre de Jacquet, qui devient une sorte de land art en deux dimensions. Et c’est là que le pop, qui consiste à sublimer la culture populaire de son époque, fait son retour. Pop, Jacquet l’avait déjà été de bien des manières, en réinterprétant le jeu de jacquet (l’ancêtre du backgammon) au début de sa carrière, ou encore en déposant, bien en évidence, un paquet de pain de mie Jacquet dans son Déjeuner sur l’herbe. Il jouait ainsi avec son patronyme, ce nom dont on est affublé à la naissance et qu’on ne choisit pas. L’image des planètes sera déformée par ordinateur pour être ensuite imprimée sur toile. Les masses rocheuses lancées dans une course folle deviennent d’innocents donuts, ces beignets populaires américains troués en leur centre, trou évoquant des orifices plus charnels, sexe féminin ou anus. Les amours adultères des dieux Mars et Vénus, maintes fois représentés dans la peinture classique, prennent alors un tournant plus sexuel, plus explicite.

James ROSENQUIST Parallel Worlds, 2012
© 2024 James Rosenquist, Inc.Licensed by Artists Rights Society (ARS), NY
©James Rosenquist / ADAGP, Paris, 2024.

Alain JACQUET Le déjeuner sur l'herbe, 1964
Courtesy galerie Perotin © Photo Claire Dorm

Alain JACQUET / James ROSENQUIST
Fractal Coincidences
Galerie Perrotin, New York, 29 octobre - 21 décembre 2024

Clémentine Vermont

The Perrotin Gallery brings together in its New York space the works of two giants: Frenchman Alain Jacquet (1939-2008) and American James Rosenquist (1933-2017). Not only were both of them significant pop art figures, one primarily in France, the other in the United States, but they also both devoted works to the cosmos.

Jacquet stayed in New York from 1964, although he exhibited there rather infrequently. He spent most of his career in France. I am wary of superlatives, as they tend to be quite definitive. But in Jacquet's case, I concede. In my opinion, he is one of the greatest French artists of the 20th century, and his work has not yet been fully recognized for its true worth. It's rare for a body of work to follow a consistent logic throughout. For Jacquet, there are two defining elements: the dot, and the pop, or the game. The dot appears in his screen-printed, halftone works, like his famous Déjeuner sur l’herbe (1964), which reinterprets the eponymous painting by Manet. The dots are grouped into a more or less dense pattern. They form the image, much like atoms constitute matter. Sometimes, you need to take a step back for the dots, as they cluster, to reveal the motif, such as when the artist, in the early 1970s, sketched a gigantic marble on a wall in Geneva, which fully reveals itself from the other side of the lake.

I don't know what led Jacquet to start looking at images of Earth, but it became clear to him that it was just a dot, and that going from screen-printing to the cosmos was merely a question of scale. Starting with a NASA photograph, Jacquet began to distinguish all sorts of shapes, much like Leonardo da Vinci or Botticelli saw figures in clouds or spots on a wall. Marilyn Monroe, dolphins, a clown, etc. Imagination knows no bounds, and the work fully aligns with psychoanalysis. What we imagine is clearly an expression of our fantasies. Little by little, the artist decided to turn his gaze outward. After all, why limit oneself to our planet when the universe is so vast? The entire universe thus rushes into Jacquet’s work, which becomes a sort of two-dimensional land art. This is where the "pop," which consists of sublimating the popular culture of its time, makes a return. Jacquet had already been "pop" in many ways, by reinterpreting the game of jacquet (the precursor to backgammon) early in his career, or by prominently placing a loaf of Jacquet-brand bread in his Déjeuner sur l’herbe. He was playing with his own surname, this name that one is given at birth and does not choose. The images of planets would be distorted by computer and then printed on canvas. The rocky masses, hurtling through space, become innocent donuts, those popular American pastries with a hole in the center, a hole evoking more carnal orifices, like the female sex or the anus. The adulterous love of the gods Mars and Venus, frequently depicted in classical painting, then takes on a more sexual, more explicit turn.

Born in North Dakota, James Rosenquist first made a name for himself in advertising, which had a lasting influence on him. His painting unfolds on large formats, accumulating fragments and resembling, in some ways, the accumulations of Arman, or the reliefs of Jean-Pierre Raynaud. An artist like David Salle surely studied Rosenquist’s paintings extensively. The cosmos makes an appearance in his work, seemingly beginning in the early 1970s, initially as a starry backdrop, a firmament in which the motifs seem to float. This sense of infinity is experienced in his installation Horizon Home Sweet Home (1970), currently on display at the Ropac Gallery in Pantin, when smoke machines erase the distances. The paintings he created in the early 2010s, his final works, are like kaleidoscopes, shattered glass open to infinity. They fractalize interstellar space, aggregating worlds. In a way, this is what Rosenquist had always done, but on a human scale.