"Il est toujours là, le Couronnement de Quarton, dans ce petit musée Pierre de Luxembourg de Villeneuve-lès-Avignon, face à la Cité des Papes, de l’autre côté du Rhône. Comme un vieil ami qui attend patiemment depuis des années..."
Le couronnement de la Vierge (1453-1454)
Enguerrand Quarton
Musée de Villeneuve-lès-Avignon
Richard Leydier
C’est avec une grande émotion que je gravis, moins vite qu’autrefois il est vrai, mais néanmoins avec le même enthousiasme, le grand escalier de pierre de l’hôtel particulier. La dernière fois, c’était il y a trente ans. Dans ma mémoire, les lieux étaient différents mais le tableau, lui, est demeuré fidèle. Je l’ai toujours tenu pour un des plus grands chefs-d’œuvre de la peinture et placé Quarton au plus haut dans le Panthéon des artistes avec Poussin et Guston. Originaire du Nord, il était venu en Avignon attiré par l’émulation locale insufflée par la présence de la papauté, qui en gros quitta Rome de 1309 à 1418. On lui connait peu d’œuvres, dont notamment la formidable Pietà d’Avignon du Louvre avec son Christ mort au dos cassé. La puissance du gothique provençal, mâtinée d’un peu de douceur du Brabant, mix qui donne cette Renaissance française si particulière.
On peut voir dans la Pietà un chanoine priant en position d’orant sur la gauche, Jean de Montagnac. C’est lui aussi qui a commandé pour les Chartreux le tableau du Couronnement à Quarton. Il officiait à la Chartreuse de Villeneuve, pour laquelle le tableau a été peint. Montagnac en a fixé le programme iconographique complexe par le biais d’un contrat passé avec le peintre devant notaire, document qu’on appelle un prix-fait et qu’on a retrouvé. C’est la raison pour laquelle on connait bien cette œuvre et qu’il y a peu de secret. Quand on dissèque le tableau, on s’aperçoit que le peintre a relativement respecté dans leur ensemble les desiderata du commanditaire. En gros, au registre inférieur, on trouve d’abord une représentation de l’enfer, puis les deux villes de Rome et Jérusalem qui se font face, deux piliers de la chrétienté, séparées par la Méditerranée. Au-dessus se déploient l’assemblée des anges et des saints et, au centre, la vierge couronnée par le Christ et Dieu, absolument identiques (jeunes et barbus), totalement symétriques, tandis que le saint Esprit surgit sous la forme d’une colombe fuselée.
Je ne connais pas d’autre composition de ce type dans la peinture religieuse. Qu’on croie ou non, cette trinité en forme de test de Rorschach porté par le chant des séraphins et des chérubins impose le respect. Les anges musiciens de Piero della Francesca à la Brera de Milan paraissent falots en regard de ce bataillon angélique en fusion.
Passé la sidération éprouvée devant les trois figures principales, il importe de se perdre dans les détails du dessous qui montrent la maitrise de Quarton. Et ils abondent, de l’enfer au purgatoire de villes que le peintre n’a pas connues. Je ne citerai qu’un seul exemple, celui des diables, qui impriment leur empire sur les tourelles des cités. À peine esquissés à l’aide de quelques traits, ils dénotent cependant une grande expressivité. Je les ai retrouvés, plus tard, chez l’un de nos contemporains, Vladimir Velickovic qui lui, a beaucoup regardé un autre tableau emblématique de la même époque, le Retable d’Isenheim. Il y aurait beaucoup à dire sur le parallèle entre le Couronnement de Quarton et le tableau de Grünewald.
Enguerrand QUARTON Le Couronnement de la Vierge, 1453-54
Musée Villeneuve-Lès-Avignon
Enguerrand QUARTON Pietà, 1460
Musée du Louvre
The Coronation of the Virgin (1453-1454)
Enguerrand Quarton
Musée de Villeneuve-lès-Avignon
Richard Leydier
The Coronation by Quarton is still there, in the small Pierre de Luxembourg museum in Villeneuve-lès-Avignon, across the Rhône from the City of the Popes. Like an old friend who has patiently waited for years. It is with great emotion that I climb, albeit more slowly than before, but with the same enthusiasm, the grand stone staircase of the mansion. The last time I was here was thirty years ago. In my memory, the place seemed different, but the painting has remained faithful. I’ve always considered it one of the greatest masterpieces of painting and placed Quarton at the highest level in the artist Pantheon, alongside Poussin and Guston. Originally from the North, Quarton came to Avignon, drawn by the local artistic vibrancy fostered by the presence of the papacy, which, roughly speaking, left Rome from 1309 to 1418. Few works by him are known, including the formidable Pietà of Avignon in the Louvre, with its broken-backed dead Christ. The power of Provençal Gothic, tempered with a touch of Brabant's softness, creates this unique françoiseRenaissance style. In the Pietà, there’s a praying canon in a supplicant’s posture on the left, Jean de Montagnac. He’s also the one who commissioned the Coronation from Quarton for the Carthusians. He served at the Charterhouse of Villeneuve, for which the painting was made. Montagnac set the complex iconographic program through a contract with the painter signed before a notary—a document known as a prix-fait, which has been found. This is why we know so much about the work, leaving little mystery. When dissecting the painting, it becomes clear that the artist generally followed the patron's requests.
In the lower register, there’s first a depiction of Hell, then the two cities of Rome and Jerusalem facing each other, two pillars of Christianity separated by the Mediterranean. Above them unfolds the assembly of angels and saints, and at the center, the Virgin is crowned by Christ and God, who are absolutely identical (young and bearded), perfectly symmetrical, while the Holy Spirit emerges in the form of a streamlined dove. I know of no other composition like this in religious painting. Whether one believes or not, this Rorschach-like trinity carried by the song of seraphim and cherubim commands respect. Piero della Francesca's musician angels at the Brera in Milan seem pale in comparison to this fiery angelic battalion.
Once past the astonishment inspired by the three main figures, one must lose oneself in the details below, which showcase Quarton’s mastery. And they abound—from Hell to purgatory, to cities the painter had never seen. I’ll mention just one example: the devils, who exert their control over the turrets of the cities. Barely sketched with a few strokes, they still convey great expressiveness. I later found them in the works of one of our contemporaries, Vladimir Velickovic, who, in turn, spent much time studying another emblematic painting of the same period, the Isenheim Altarpiece. There is much to be said about the parallels between Quarton’s Coronationand Grünewald’s masterpiece.