Laurent Le Deunff est un sculpteur français connu pour ses sculptures animalières. Il dépoussière le genre depuis de nombreuses années avec un œuvre aussi discret qu’efficace et drôle.

Il manie depuis longtemps déjà l’art subtil de l’ironie dans un travail multipliant les changements d’échelle, les matériologies diverses et les hybridations multiples pour mieux nous emporter loin d’un genre qui, sans cet humour, pourrait apparaître d’un intérêt relatif ou poussiéreux, pour ne pas dire sans aucun intérêt.

Laurent Le Deunff apparaît dans ce nouvel opus comme un maître des matériaux et des chromies blafardes révélant les matières et les formes dans un accrochage qui contraste avec ce que l’on connaissait de lui dans sa précédente présentation à la galerie.

Il y avait constitué un univers total, remplissant la galerie de copeaux de bois et d’écorces pour créer un environnement qui faisait passer l’exposition pour une installation plus que pour un ensemble de sculptures.

Ici, il joue donc un accrochage très réussi sur des socles blanc (subtilement teintés d’un blanc pas si blanc...) s’élevant à différentes hauteurs. Ils suscitent une dimension ludique dans le rapport aux œuvres et permettent d’appréhender chaque sculpture à sa juste échelle en fonction de sa place dans ce dispositif.

Laurent LE DEUNFF

Galerie Sémiose, Paris
22 juin - 17 août 2024

Lionel Scoccimaro

Très influencé par les techniques variées qu’il manipule autour de pratiques périphériques issues du «art and craft» aussi bien que des techniques traditionnelles de la sculpture sur bois ou de la taille de pierre, Le Deunff multiplie les couches de références. Il manifeste un réel intérêt pour la pratique d’atelier, et l’on sent depuis toujours chez cet artiste un réel attrait pour la manipulation et la transformation de la matière quelle qu’elle soit...

Pour sa nouvelle exposition personnelle à la galerie Sémiose, il annonce la couleur dès l’entrée de ce superbe espace avec une trappe au sol, sorte de piège qu’il nous tend (d’autres nous attendent ailleurs dans l’exposition) et une massue préhistorique de dessin animé en béton de 2 mètres de haut comme pour mieux nous dire qu’il allait frapper fort.

Dès la seconde salle, l’ambiance est toute autre, comparée au «minimalisme» de l’entrée en matière qui, bien que ludique et grinçante, n’en joue pas moins sur le fil du rasoir d’un rapport à l’objet détourné et à «l’artefact».... Là nous attendent donc une multitudes de pièces d’échelles et de matériaux très différents les uns des autres mais tous unifiés par un camaïeu de gris clair et de beige, de marron et de blancs cassés marquant un choix de matériaux aussi logique dans le champ d’une sculpture populaire et artisanale que décalés dans l’art contemporain des quarantenaires français mélangeant béton, bois massif, albâtre ou terre cuite.

Laurent LE DEUNFF, Chêne
50 × 70 × 40 cm. Court. galerie Sémiose

Laurent LE DEUNFF, Blaireau, 2023. Rusticage. 60 × 120 × 42 cm. Court. galerie Sémiose

Dans ce « Dédale » de socles, le bestiaire qu’on lui connaît est bien présent : castors , marmottes, ours , poisson lune ou hiboux sont accompagnés cette fois-ci d’assemblages sur le mode du cadavre- exquis sculptural, ainsi une tête ce hibou servant de cheville à un pied en taille directe de bois renvoie aux recherches anatomiques de la sculpture classique tout autant qu’au champ d’un surréalisme potache. Flanquée de sa tête d’oiseau, ce pied s’anime comme un être à la fois monstrueux, drôle et gentiment inquiétant.
Plus loin et toujours sur ce même mode, Châtaignier 2024 nous offre un assemblage quasi « Lavierien » (1) d’un modèle réduit de coffre fort en taille directe surmontée d’un demi tibia géant qui se termine en cacahuète ...
L’ensemble de cette série de pièces, dont le titre n’est autre que les essences de bois qui servent à les réaliser, fabrique un ensemble de totems très réussis qui situe Laurent Le Deunff dans une famille de « sculpteurs de totems » mêlant souvent l’imagerie grotesque aux techniques du art and craft, très en vogue dans l’art contemporain de ces dernières années .
Il est amusant de constater que nous pourrions situer la pratique de l’artiste français dans une famille allant de Eric Croes , le jeune céramiste Belge qui réalise de nombreux totems à étages, à Peter Schuyff . Lui aussi s’adonne avec talent à la taille directe, lui aussi est présent dans l’écurie de la galerie Sorry we’re closed et une des œuvres « totémiques » est citée plus loin par Laurent Le Deunff dans If 2024 , joli petit assemblage de pièces et de formes que l’on imagine volontiers comme étant des citations aux artistes qu’il admire ou dont il se sent proche .

La galerie Sémiose assume largement cette affinité avec l’écurie de la galerie Belge Sorry we’re closed dont les choix audacieux et avant-gardistes ont permis à plusieurs de leurs artistes de collaborer aussi avec Benoit Porcher comme le brillant sculpteur Allemand Stéphane Rinck pour ne citer que lui. Lui aussi partage d’ailleurs une proximité technique et formelle avec Laurent Le Deunff dont le travail de la taille de pierre dans un style assez traditionnel apparait décalé voire atypique dans le champ de l’art contemporain actuel.

Pour rajouter à l’ironie de ces propositions, toutes plus amusantes et maîtrisées les unes que les autres, Laurent nous propose d’investir le monde de l’ornement de jardin en nous offrant une série de pièces en rocaille, technique d’artisanat d’ornement simulant le bois et réalisé en béton qui fut très en vogue du milieu du 19eme siècle jusqu’au milieu des années 1930, totalement tombée en désuétude depuis mais que Le Deunff remet ici au gout du jour avec talent et humour.

Issue de cette série de pièces en béton sculpté, Blaireau 2023 anime l’espace sur un mode singulier au milieu de ce bestiaire par sa fonctionnalité puisqu’il s’agit d’une fontaine à l’échelle ambiguë. Citation à la sculpture de montagne et ses fontaines en bois à l’échelle de troncs évidés et de souches faussement anthropomorphiques, l’eau qui s’écoule de la bouche de l’animal (non sans humour) crée un doux bruit ironiquement « fengshui » dans l’espace de la galerie où petits monstres et objets piégés se côtoient. Les lentilles d’eau qui ornent le mini bassin réceptacle du crachat de l’animal sont particulièrement efficaces à rappeler l’engouement de cet artiste pour le végétal et le rapport chromatique induit par cette présence opère comme un clin d’œil à une nature domestiquée avec subtilité.

Enfin, autres pièces remarquables parmi cette compilation d’œuvres toutes assez désirables, on compte plusieurs os sculptés en albâtre qui simulent les os pour chien à mastiquer en peau de bœuf. Ici, le décalage entre l’objet trivial absolu et la noblesse du matériau, ainsi que la virtuosité de la réalisation viennent encore renforcer cette omniprésence de l ‘humour et de l’ironie dans une œuvre à la fois douce et grinçante.

3 os et Os noué (2022), réalisés en taille directe dans de l’albâtre de plusieurs tonalités, simulent un objet fabriqué par moulage jouant sur un double simulacre brouillant les pistes entre la matériologie et le mode de fabrication.

L’exposition de Laurent Le Deunff est donc une jolie réussite, aussi bien par la qualité des œuvres produites que par le dispositif d’accrochage extrêmement simple et efficace qui, sans fioriture, permet aux œuvres de se côtoyer et de vivre leur autonomie comme leur complémentarité dans un «biotope» qui est une jolie parenthèse poétique et légère tout en contraste avec une période particulièrement troublée.

L’exposition Whatever this may be nous redonne le sourire, ce qui apparaît comme une gageure en Juin 2024...

(1) « lavierien » : Néologisme sur le mode de Bertrand Lavier, lequel, dans les années 1990, faisait se superposer une hélice de bateau sur des toilettes publiques Decaux et bien d’autres objets emblématiques de marques connues.

*Toutes les images Courtesy Galerie Sémiose

Laurent Le DEUNFF
Whatever this may be
Galerie Sémiose, Paris
June 22 – August 17, 2024

Lionel Scoccimaro

Laurent Le Deunff is a French sculptor known for his animal sculptures. For many years, he has revitalized this genre with works that are as discreet as they are effective and humorous. He has long mastered the subtle art of irony, working through shifts in scale, diverse materials, and multiple hybridizations to take us far from a genre that, without this humor, might seem of limited or outdated interest, if not utterly irrelevant.

Heavily influenced by the varied techniques he uses, ranging from "arts and crafts" practices to traditional wood carving and stone sculpting, Le Deunff layers his work with multiple references. His deep interest in studio practices is evident, and there’s always been a clear attraction in his work for manipulating and transforming any material, no matter what it is.

For his new solo exhibition at Galerie Sémiose, he sets the tone right from the entrance of this beautiful space with a floor trap, a kind of visual “trap” for visitors (others await us elsewhere in the show), and a 2-meter-high cartoon-like prehistoric concrete club, signaling that he intends to make a strong impact.

In the second room, the atmosphere is entirely different compared to the "minimalism" of the playful and edgy entrance, which plays on the fine line of subverting objects and artifacts. Here, we find a multitude of pieces with very different scales and materials, all unified by a palette of light grays, beige, brown, and off-whites, marking a selection of materials that make sense within the realm of popular and craft-based sculpture, yet feel out of place in the contemporary art scene of French artists in their forties. These materials include concrete, solid wood, alabaster, and terracotta.

In this new chapter of his work, Laurent Le Deunff emerges as a master of materials and pale tones, revealing the materials and forms in a display that contrasts sharply with his previous exhibition at the gallery. Then, he had created an all-encompassing environment, filling the space with wood chips and bark to form an installation more than just a collection of sculptures.

Here, the installation is skillfully arranged on white pedestals (subtly tinted in off-white) of varying heights. This arrangement introduces a playful dynamic in how the works are viewed, allowing each sculpture to be seen at the appropriate scale relative to its placement.

Within this "maze" of pedestals, Le Deunff's familiar animal repertoire is on display: beavers, marmots, bears, sunfish, and owls are joined this time by sculptural assemblages in the style of an exquisite corpse. For instance, an owl’s head is used as a joint for a foot carved directly from wood, evoking anatomical studies in classical sculpture while also nodding to a playful surrealism. With its bird's head, the foot comes to life as a creature that is both monstrous, humorous, and charmingly unsettling.

Further on, Châtaignier (2024) presents a near "Lavierien" (1) assembly, consisting of a small-scale safe carved directly from wood, topped with a giant tibia that ends in a peanut. The pieces in this series, named after the types of wood used to create them, form a successful set of totems, placing Laurent Le Deunff among a family of "totem sculptors" who often blend grotesque imagery with art and craft techniques, a popular trend in contemporary art in recent years.

It's amusing to place the French artist's practice within a lineage ranging from Belgian ceramicist Eric Croes, known for his multi-tiered totems, to Peter Schuyff, who also excels in direct carving and shares gallery representation with Sémiose. In fact, Le Deunff directly references a totemic piece by Schuyff in If (2024), a charming small assembly of pieces and forms, likely a nod to artists he admires or feels akin to.

Galerie Sémiose embraces this affinity with the Belgian gallery Sorry we’re closed, known for its bold and avant-garde choices, which have led several of its artists to collaborate with Benoit Porcher, the director of Sémiose. Among them is the talented German sculptor Stéphane Rinck, whose technique and style share a kinship with Le Deunff's work in traditional stone carving, an approach that feels out-of-place yet fresh in the current contemporary art scene.

To add to the irony of these amusing and masterfully executed pieces, Le Deunff ventures into the realm of garden ornamentation with a series of rocaille pieces—an ornamental craft technique simulating wood made from concrete, popular from the mid-19th century to the 1930s, which has since fallen into disuse. Le Deunff revives it here with talent and humor. From this series of sculpted concrete pieces, Blaireau (2023) animates the space uniquely among the animal collection with its functionality as a fountain of ambiguous scale. Drawing on mountain sculpture and its wooden fountains carved from tree trunks and faux-anthropomorphic stumps, the water flows humorously from the animal's mouth, creating a gentle "fengshui" sound in the gallery, where small monsters and trapped objects coexist. The water lilies decorating the mini-basin receiving the animal's spout are particularly effective in recalling the artist's interest in plant life. The chromatic harmony created by this element playfully evokes a subtly domesticated nature.

Among the most notable pieces in this collection of desirable works are several sculpted bones in alabaster, mimicking dog chew toys made from rawhide. Here, the contrast between the trivial object and the noble material, combined with the virtuosity of the craftsmanship, underscores the presence of humor and irony throughout the work, both gentle and biting.

3 os and os noué (2022), carved directly from alabaster in various tones, imitate a molded object, playing with a dual simulation that blurs the lines between material and manufacturing process.

Laurent Le Deunff's exhibition is a delightful success, both in terms of the quality of the works and the extremely simple and effective display that, without any frills, allows the pieces to complement each other and exist autonomously within a "biotope" that offers a poetic and lighthearted contrast to a particularly troubled period. The exhibition Whatever this may be brings a smile to our faces, a real challenge in June 2024.

(1) "Lavierien": A neologism referencing Bertrand Lavier, who in the 1990s superimposed objects like a boat propeller on Decaux public toilets, among other iconic items.